La pratique du Reiki peut-elle être pertinente dans un centre hospitalier universitaire ? A quelles conditions et avec quels résultats ? Une enquête de satisfaction auprès de patients douloureux chroniques montre que cette démarche est appréciée et efficace.
L’unité de réhabilitation du Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV) en Suisse, admet depuis plus d’une quinzaine d’années des patients souffrant de douleurs chroniques, plus spécialement des douleurs du rachis, mais parfois aussi et selon la situation, de fibromyalgie ou de douleur psychosomatique.
Ces patients sont traités en ambulatoire ou en hospitalisation. Ils suivent un programme composé de différents traitements individuels et en groupe pendant une durée de trois semaines (3 fois 5 jours). Ils sont pris en charge par des médecins, des physiothérapeutes, des ergothérapeutes, des psychologues, une équipe soignante dont deux infirmières pratiquant la relaxation et le Reiki. Un accompagnement de l’aumônerie est également parfois proposé aux patients hospitalisés.
Pour la plupart de ces patients, le but est de maintenir ou retrouver leur autonomie dans les Activités de la Vie Quotidienne (AVQ) à la maison, mais aussi dans leurs activités professionnelles.
L’important travail des soignants est d’accompagner le reconditionnement physique progressif de ces patients selon 4 grands axes :
– vaincre leurs appréhensions (aider les patients à comprendre leurs croyances et leurs limites afin de les dépasser) et identifier leurs ressources
– muscler progressivement leur dos et effectuer un entraînement cardiovasculaire
– entraîner les AVQ et les activités au travail qui posent problèmes
– soutenir psychologiquement le patient.
Douleur omniprésente
La situation des patients souffrant de douleurs chroniques est souvent très complexe.
D’abord sur le plan physique, la douleur est omniprésente. Le patient bouge de moins en moins, il appréhende de plus en plus le mouvement (la kinésiophobie) et ainsi il se déconditionne. Sur le plan psychologique, social, professionnel et familial, la situation est souvent précaire. Au fil du temps, l’entourage peut ne plus être en mesure d’accompagner le patient avec l’empathie nécessaire. Une situation financière difficile se rajoute parfois, due à des arrêts de travail répétitifs ou prolongés, voire même une perte d’emploi.
Certains patients ont des parcours de vie particulièrement sinueux et chargés (guerre, torture, immigration, viol, abus, agression, dépendance, etc). Ces événements provoquent énormément de tensions et de stress. Le patient est entraîné dans une spirale qui l’amène fréquemment vers un état dépressif.
Dans ce contexte, plusieurs approches sont proposées. L’une d’entre elles, la relaxation, peut constituer un soutien non négligeable au programme. Elle est donnée deux fois par semaine à l’ensemble des patients. Toujours dans l’idée d’apporter un moment de détente, le programme propose en plus aux patients hospitalisés des séances de Reiki.
Le Reiki
Le Reiki fait partie des médecines complémentaires. Il s’apparente à une thérapie énergétique. Mikao Usui est reconnu comme le fondateur de cette thérapie au début du 20ème siècle au Japon, thérapie qui s’est ensuite développée et étendue aux Etats Unis et enfin en Europe.
Le Reiki est un mot japonais dont la traduction signifie « énergie de vie universelle » (« Rei » signifie universel et « ki » énergie vitale).
Les principaux effets du Reiki décrits dans la littérature spécialisée sont de :
– stimuler le bien-être physique et mental,
– favoriser un état de relaxation
– harmoniser la circulation de l’énergie
– soutenir le potentiel de guérison
– apporter une énergie nouvelle pour aborder la vie d’une manière différente.
La transmission de cette énergie se fait par l’apposition des mains du praticien à différents endroits du corps du patient habillé. Les mains peuvent soit toucher le patient soit être à une dizaine de centimètres du corps de celui-ci s’il ne supporte pas le toucher.
La philosophie de cette thérapie n’a aucune attache avec une religion, secte ou croyance, elle se base essentiellement sur la bienveillance envers l’autre.
Le praticien guide ou canalise l’énergie universelle vers le corps du patient, à travers ses mains, qui se déplacent tout au long de la séance à différents endroits du corps. Une séance dure entre 60 et 90 minutes.
Cette manière d’utiliser l’énergie universelle à des fins thérapeutiques se retrouve dans différentes cultures bien plus anciennes comme la culture égyptienne, tibétaine, indienne, chrétienne, polynésienne, sous d’autres noms ou appellations et probablement dans bien d’autres traditions encore.
Aménagement des séances
Au CHUV, les séances de Reiki ont dû être adaptées à l’organisation du milieu hospitalier et à nos moyens (temps à disposition, organisation, planification et coordination). Le choix s’est porté sur des séances de Reiki aux patients hospitalisés uniquement et pour une durée de 30 minutes.
Dès le début 2013, les séances de Reiki ont été mises en œuvre de la façon suivante : à tour de rôle, toutes les 3 semaines, les deux infirmières formées en Reiki prenaient en charge un groupe de patients. Le patient avait en principe la même infirmière pendant son séjour, afin d’assurer une meilleure continuité des soins.
Sur préavis médical, l’infirmière expliquait le soin Reiki individuellement et à l’aide d’un document explicatif qui restait en possession du patient. Les séances n’étaient pas obligatoires. Le patient avait en principe quelques jours de réflexion pour donner son consentement oral. S’il donnait son accord, une séance de Reiki de 45 minutes était programmée chaque semaine sur son programme de soins. Dans ces 45 minutes, 15 minutes étaient consacrées à installer la chambre, la musique et le patient, ainsi que pour d’éventuels échanges. Les 30 minutes restantes étaient dédiées au soin Reiki proprement dit.
Les équipes pluridisciplinaires participaient à des colloques hebdomadaires. Ces échanges permettaient de questionner la prise en charge : les effets du traitement anti douleur était-il adapté ? Le patient pouvait-il dormir la nuit ? Se sentait-il confortable lors des séances de physiothérapie ? Dans quel état psychologique se trouvait le patient avec chacun des professionnels ? Le patient pouvait-il se détendre ?
Les infirmières de Reiki assuraient d’une part régulièrement des transmissions orales à l’équipe soignante, d’autre part elles documentaient dans le dossier patient chaque séance (temps de séance, description de la position du patient et son installation, positions des mains utilisées, feed-back du patient).
Les plus-values du Reiki
Malgré une littérature scientifique très fournie et surtout anglophone, l’efficience du Reiki reste difficile à démontrer. Les détracteurs reprochent souvent aux recherches une méthodologie et une rigueur insuffisante, des critères d’inclusion différents, des groupes de patients pas assez conséquents pour pouvoir tirer des conclusions sur l’efficacité du Reiki. La littérature faisant toutefois plutôt l’éloge de la méthode sur la base de premiers résultats encourageants, notre équipe a ainsi mené sa propre enquête de satisfaction auprès de nos patients.
Les objectifs étaient de connaître :
– l’appréciation des séances de Reiki
– l’impact des séances sur la douleur, l’anxiété, le bien-être
– les souvenirs des séances
– l’utilité de ces séances dans ce programme
– la continuité hors de l’hôpital
– la communication, les recommandations faites ensuite pour le Reiki à l’entourage.
Le déroulement de cette enquête s’est étendu sur 17 mois auprès de 113 patients ayant bénéficié de cette technique dans leur prise en charge et de manière anonyme.
Un questionnaire a été conçu comprenant des questions de type Liekert et de quelques questions ouvertes, en texte libre.
Détente et réduction du stress
Nous avons vu 133 patients, dont 20 ont refusé le Reiki. Les raisons de ces refus étaient d’ordre culturel, religieux ou l’abandon complet du programme. Parmi les 113 patients qui ont accepté des séances de Reiki, 94 questionnaires ont pu être distribués dont 87 (84%) ont été retournés.
78% des patients se sont déclarés « satisfait » ou « tout à fait satisfait » vis à vis des séances de Reiki.
En priorité (graphique 1), le Reiki a apporté aux patients :
– de la détente
– du bien-être
– une diminution du stress
Ces trois éléments font partie des objectifs du service et de la démarche suivie. D’ailleurs ils constituaient les buts de l’introduction du Reiki dans ce programme, il y a une quinzaine d’année.
De plus, durant notre activité, nous avons observé que :
– les patients s’endorment très souvent pendant les séances, alors que la plupart d’entre eux souffrent de troubles importants du sommeil
– la plupart des patients gardent la même position pendant la durée du traitement (30′) sans en changer, alors qu’en ergothérapie et en physiothérapie, ces mêmes patients tiennent peu de temps dans la même position principalement en raison de douleurs
– malgré des douleurs toujours présentes en fin de séance, les patients nous disent que cela fait très longtemps qu’ils ne se sont pas sentis aussi bien
La majorité des patients (72%) estiment les séances de Reiki « utiles » ou « très utiles ».
Quelle est l’intention des patients à la sortie de l’hôpital par rapport à cette méthode ?
Les séances de Reiki sont très appréciées et ont leur place dans le programme. Les patients les recommandent volontiers à leur entourage. Par contre, ils sont hésitants à l’idée de continuer à en recevoir à la sortie de l’hôpital. Ils sont souvent dans des situations financières relativement précaires qui ne leur permettent pas de bénéficier d’une assurance complémentaire ou de prestations d’un praticien reconnu (graphique 2).
Discussion
D’après les résultats de cette enquête, les séances de Reiki ont rencontré un réel engouement auprès des patients. Elles leur apportent des effets significatifs sur la détente, le bien-être et une diminution du stress.
Malgré l’adaptation du temps d’une séance classique (env. 60-90 min) à une séance intra-hospitalière (30 min), l’effet bienfaisant du Reiki reste avéré.
Le temps préparatoire à la séance (15′), semble lui aussi très important. Il permet au patient de se mettre en condition. Par la préparation de la chambre, du lit, du confort du patient et de la qualité de l’échange, cela lui montre que le soignant prend soin de lui et aide à créer un lien de confiance.
Conclusion
D’abord, cette expérience révèle encore une fois l’importance de la qualité du temps consacré au patient, du contact, du lien de confiance. Le Reiki contribue à cette qualité en particulier avec des patients douloureux chroniques.
Les colloques pluridisciplinaires au sein d’une équipe soignante sont primordiaux. Ils permettent in fine d’assurer une meilleure continuité dans la prise en charge du patient.
Les médecines complémentaires et le Reiki en particulier apportent des contributions non négligeables en médecine hospitalière. Elles devraient être davantage soutenues et des recherches conduites, afin de mieux comprendre les enjeux croisés des différentes disciplines.
Enfin, un Centre de Médecine Intégrative et Complémentaire (CEMIC) sera mis sur pied d’ici la fin de l’année au CHUV. Son but sera d’apporter du soutien aux équipes de la PMU (Policlinique Médicale Universitaire) et du CHUV dans le domaine des médecines complémentaires. Une nouvelle qui nous permet d’envisager un avenir passionnant !
(La bibliographie en lien avec cet article peut être obtenue auprès de l’auteure.)
Sylvie Furrer a travaillé comme infirmière au pool du département de l’appareil locomoteur au CHUV jusqu’en avril 2015. Depuis, elle occupe le poste d’infirmière en consultation de cardiologie à la PMU. Contact : sylvie.furrer@chuv.ch
(Article publié avec permission, ce texte a été publié d’abord dans la revue Soins infirmiers 12/2015)