Hippocrate et l’énergie de la guérison
– par Franziska Rudnick –
Au début de l’année 2022, un patient cardiaque jugé inapte à recevoir un cœur de donneur humain se verra implanter un autre cœur : celui d’un porc. L’homme de 57 ans et ses médecins ont estimé que cela valait la peine d’essayer. L’opération a réussi, le patient est resté en vie un certain temps, il a réussi à tenir près de huit semaines avant de mourir. Les médecins se réjouissent : « Nous avons obtenu un aperçu inestimable et appris qu’un cœur de porc génétiquement modifié peut bien fonctionner dans le corps humain si le système immunitaire est supprimé de manière adéquate », explique le chirurgien en charge de l’opération.
Beaucoup considèrent cette opération comme une contribution au progrès de la médecine moderne. Les unités de soins intensifs, par exemple, sont devenues incontournables et peuvent aider les patients à revenir à la vie. En même temps, grâce aux progrès de la médecine, les expériences de mort imminente sont de plus en plus fréquentes, ce qui peut certainement contribuer à une autre compréhension de la vie.
Mais faut-il faire tout ce qui peut être fait ? Les questions d’éthique médicale deviennent de plus en plus complexes au fur et à mesure des progrès de la médecine, les frontières entre la vie et la mort se déplacent et s’estompent de plus en plus. La mort est l’adversaire final de la médecine moderne. La question de ce qui fait la vie est-elle pour autant laissée de côté ? Et une autre question se pose : quand un médecin est-il un bon médecin ? Quand peut-il vaincre la mort ? Lorsqu’il connaît et applique tout ce que la technique peut offrir ?
Ou sa qualité de médecin pourrait-elle être liée non seulement à ses connaissances et à son savoir-faire, mais aussi à son développement humain et à sa maturité ?
Les Grecs anciens, et en particulier le médecin Hippocrate, qui vivait au cinquième siècle avant Jésus-Christ, répondraient par l’affirmative à cette question. C’est au légendaire Hippocrate que l’on doit le serment auquel se réfèrent les discussions sur l’éthique médicale. Toutefois, le serment d’Hippocrate n’est pas juridiquement contraignant et aucun futur médecin n’est tenu de le prêter. Les médecins qui souhaitent obtenir leur autorisation d’exercer doivent s’engager à respecter une autre formule, qui leur est soumise par l’Ordre des médecins. Ce code de déontologie de l’Ordre des médecins contient une forme modernisée du serment d’Hippocrate, un engagement à agir de manière éthique en tant que médecin.
Le serment d’Hippocrate contient de nombreuses choses qui sont encore pratiquées aujourd’hui en tant qu’éthique médicale. Ainsi, le commandement de ne pas nuire aux malades, l’interdiction des actes sexuels sur les patients et le secret médical. L’interdiction de l’euthanasie et de l’avortement font également partie du serment d’Hippocrate.
En lisant le serment, on est frappé par un passage qui ne correspond pas à la sobriété du reste du texte. Traduit en français, il dit : « Je garderai ma vie et mon art saints et purs ».
« Je garderai ma vie et mon art saints et purs ». Cela ne ressemble-t-il pas à un style de vie ? Comme un engagement du praticien, du médecin ou du thérapeute à s’orienter vers une certaine manière de vivre, d’agir, d’être ?
Le Dr Annie Berner-Hürbin, psychothérapeute suisse et experte en langues anciennes, répondrait par l’affirmative à cette question. Dans son livre Hippocrate et l’énergie de la guérison paru en 1997, elle écrit : « Le chemin d’humanisation de l’homme implique la décision permanente d’aller vers le “bien et le beau”… Le chemin qui y mène a été désigné par le mot “vertu”… ce qui équivaut à un ancrage croissant dans des vibrations positives ».
Hippocrate a vécu au cinquième siècle avant Jésus-Christ. Ce n’est pas un hasard s’il était médecin : il était issu d’une famille qui faisait remonter ses origines jusqu’à Asclépios, le dieu de l’art de guérir. Hippocrate a également été formé par son père, sur l’île de Kos. Sur cette île, il y avait des centres de soins dédiés à Asclépios. Ici, le temple et le lieu de guérison ne faisaient qu’un. Les malades pouvaient y trouver des réponses à leurs questions, et parfois la guérison dans ce qu’on appelle le « sommeil du temple ». C’est dans ce climat cultuel que s’est développée une vision de l’homme et de la personne du guérisseur qui, plus tard, devait traverser les époques sous une forme concentrée dans le serment d’Hippocrate.
Si l’on regarde aujourd’hui la médecine de la Grèce antique, en particulier celle d’Hippocrate, on y trouve une vision complexe et globale de l’homme et de son environnement. Les deux étaient considérés comme étant en interaction permanente. L’individu qui se perçoit comme isolé et séparé du monde n’existait pas encore sous cette forme, à l’époque de la Grèce antique et d’Hippocrate. Annie Berner-Hürbin sait que « l’homme de l’époque se percevait lui-même et ses semblables (…) comme un champ d’énergie pulsant qui percevait tout ce qui émettait de l’énergie… Le corps était perçu (…) par le biais des énergies corporelles et de leur flux… ». C’était le monde dans lequel vivait et travaillait Hippocrate, une époque où la médecine chinoise et le système de l’ayurveda avaient également vu le jour et existaient parallèlement à la médecine grecque. Il est même possible que tous ces systèmes aient été en interaction les uns avec les autres.
« Les Grecs savaient, écrit Berner-Hürbin, que l’homme est aussi un champ d’énergie (…) et que ce champ d’énergie quitte le corps à la mort et que celui-ci ne peut alors plus absorber d’énergies vitales ».
La vision selon laquelle tout est énergie et est influencé par l’énergie déterminait également la vision du thérapeute, du médecin. Si tout est en échange mutuel, une responsabilité particulière incombe à celui qui exerce une profession médicale.
Le futur médecin était conscient que la médecine, la science de la guérison, est un art. Il avait été formé à cet art et devait s’y exercer toute sa vie. Le médecin n’était pas seulement quelqu’un qui s’y connaissait en médecine. Dans l’idéal, il était également philosophe et avait lui-même fait l’expérience d’influences et d’états énergétiques dans son propre corps et dans sa propre âme. Il savait que la « vérité du corps » ne se trouvait pas dans les organes, mais « dans les principes invisibles qui traversent le corps (…) les canaux (…) et les “énergies élémentaires” qui circulent dans les canaux… ».
Cette vision de l’homme et du monde s’est progressivement perdue au cours de l’histoire, probablement sous l’influence du christianisme, qui a été déclaré religion d’État au quatrième siècle après Jésus-Christ.
La compréhension du culte, des initiations et du mystère s’est ainsi perdue. L’initiation n’était plus le résultat d’un processus de sélection, mais chacun était admis dans le culte par baptême et pouvait ainsi se considérer comme consacré et sacré. C’est probablement là que se trouve l’une des racines de la vision actuelle, purement matérialiste, de l’homme et du monde.
Hippocrate et son école ont laissé un enseignement complet. Un mode de vie sain, qu’ils appelaient « éthique de la diététique », était certes lié à l’alimentation. Mais il y avait des aspects de cette diététique qui visaient l’intérieur de l’homme, son orientation morale, religieuse et spirituelle. Comment atteindre certains états, comment les maintenir ? En même temps, on exigeait des médecins, des thérapeutes, qu’ils connaissent les anciennes doctrines de sagesse. Il s’agissait de la connaissance des énergies.
Les énergies construisent le corps, mais elles le détruisent aussi. Les influences énergétiques peuvent pénétrer progressivement de l’extérieur, l’enveloppe de l’aura, vers l’intérieur, dans le corps, et y déclencher des maladies. Dès le stade extérieur, ces énergies doivent être reconnues et, le cas échéant, traitées. Si cela n’est pas fait, les influences pathogènes s’infiltrent de plus en plus profondément, jusqu’à atteindre les organes. Si elles s’y sont installées, le traitement est plus difficile. Parfois même, il n’est plus possible d’agir. Dans ce cas, il s’agissait pour les médecins de préparer le patient à la mort et de l’accompagner dans ce processus. Les médecins, selon Hippocrate, étaient donc aussi ce que l’on appelle aujourd’hui des médecins palliatifs.
Pouvoir détecter les maladies à la limite du système corporel, au niveau de l’aura qui entoure le corps, supposait un diagnostic particulier. Celui qui voulait être médecin devait être clairvoyant ou avoir la capacité de percevoir et d’interpréter d’une autre manière les perturbations du champ énergétique.
Dans les écrits hippocratiques, on remarque que la méthode de la lecture de l’aura met l’accent sur la possibilité de voir les couches de l’aura comme rayonnantes et pures. C’est l’état idéal pour le patient et pour le praticien. Dans ce contexte, le médecin-thérapeute a une responsabilité particulière. Il est chargé de créer et de préserver ses énergies, son système, pour ainsi dire « sacré et pur ». Il s’agit d’une tâche qui dure toute la vie. En effet, le diagnostic et la thérapie pouvaient parfois se confondre, dans la mesure où l’énergie était déjà transmise lors de l’observation diagnostique et de la palpation du patient.
Comme « les hippocrates » savaient que tout est en interaction, ils étaient soucieux d’avoir et de conserver un rayonnement énergétique élevé. C’est dans cet état d’esprit qu’il fallait regarder le patient et le toucher, deux éléments d’un diagnostic global. Les hippocrates étaient conscients que l’énergie était transmise lorsqu’ils touchent le patient. Tout physiothérapeute ou thérapeute sensible travaillant avec des méthodes énergétiques connaît certainement ce phénomène : si l’on ne fait pas attention, son propre état intérieur peut être transmis à la personne traitée. Les personnes sensibles peuvent s’approprier les dépressions ou autres états d’âme du praticien, et tomber elles-mêmes malades à cause de ces états. Dans la recherche médicale, il existe aujourd’hui du matériel qui fait état de la possibilité d’influencer les patients à l’hôpital et pendant l’anesthésie. Elles indiquent que les patients se rétablissent plus rapidement et mieux lorsque les médecins traitants et l’équipe parlent, et même pensent positivement, de l’opération et du patient pendant l’anesthésie.
Dans l’Antiquité, le risque que des états négatifs puissent être transmis au psychisme des patients ou, plus généralement, par les contacts, était considéré comme acquis. La négativité était perçue par le médecin comme venant de l’extérieur. Elle apparaissait dans la vision diagnostique comme des nuages, comme quelque chose de noir. Les énergies négatives obscurcissaient partiellement ou totalement l’aura, réduisaient sa taille et pouvaient entraîner des états psychiques et physiques dévastateurs.
L’un des principaux remèdes contre les états négatifs était, outre la transmission d’énergie par un thérapeute et la musique, la capacité du malade à pouvoir pardonner, à se réconcilier avec ce qui avait déclenché sa souffrance. Annie Berner-Hürbin conclut à ce sujet : « Le développement humain et la création de sens se développent (…) dans le dépassement et le lâcher-prise de la colère et de la mortification en une forme élevée d’amour ».
Dans la médecine grecque antique, il existait une connaissance approfondie des profondeurs de la psyché humaine et de sa capacité à être influencée. C’était un mystère, et protégé en tant que tel. Seuls les initiés avaient le droit de le connaître et de le manipuler.
Berner-Hürbin dit que « seuls les initiés qui travaillaient toute leur vie sur eux-mêmes et sur leur maturité personnelle étaient habilités à accéder à ce savoir… »
La psychologue en déduit une invitation : « Conformément aux anciens enseignements de la sagesse, les personnes exerçant des professions de guérison devraient évoluer vers un respect toujours plus grand de l’autre être humain et vers une capacité d’amour toujours plus grande ».
La responsabilité du thérapeute est globale. Pour Hippocrate et son école, elle résidait dans le fait que le médecin se connaisse lui-même. Qu’il se soigne lui-même, aussi bien le corps que l’âme. Cela présuppose une conscience constante et une prise de conscience du fait que les interactions énergétiques ont lieu en permanence. Pour ne pas être en quelque sorte contaminé par le patient et pour pouvoir guérir soi-même, il était nécessaire d’avoir en soi une énergie hautement vibratoire et de la diffuser.
Celui qui appartenait à cette tradition de sagesse d’Hippocrate devait veiller toute sa vie à « éviter autant que possible de transmettre des énergies négatives… », selon Annie Berner-Hürbin. Elle précise : « L’ancienne voie de sagesse permettait (…) des transformations subtilo-énergétiques et une évolution vers des niveaux d’énergie toujours plus élevés : devenir “homines sacri” était l’obligation des anciens thérapeutes-médecins ».
Homines sacri : hommes saints. Le médecin-thérapeute comme prêtre du divin, comme serviteur d’une puissance supérieure.
Un tel raisonnement peut-il être accepté dans notre présent ? Dans un présent où les médecins transplantent, dans des cas extrêmes, des cœurs de porc pour guérir des personnes malades ?
Une telle médecine sera-t-elle un jour considérée comme une aberration, une excroissance qui passe à côté de ce qu’elle devrait être ? Le psychanalyste suisse Carl Gustav Jung, lui-même médecin, avait un rêve concernant la médecine moderne : « Je crois que la guérison par des voies non matérielles, par des méthodes spirituelles, a un avenir aux possibilités insoupçonnées…
Je vois poindre devant moi l’aube d’une nouvelle ère, dans laquelle certaines interventions chirurgicales seront considérées comme de simples rafistolages, horrifiés qu’il y ait eu un jour une connaissance aussi limitée des méthodes de guérison…
Loin de moi l’idée de rabaisser d’une quelconque manière la médecine et la chirurgie, j’ai au contraire une grande admiration pour les deux. Mais j’ai pu jeter un coup d’œil sur les énergies monstrueuses qui habitent la personnalité elle-même et sur celles qui proviennent de sources extérieures et qui, dans certaines conditions, s’écoulent à travers elle, et que je ne peux pas qualifier autrement que de divines ».
Il s’agit dans le serment d’Hippocrate de médecins, d’initiés qui étaient tenus à des secrets. Mais en réalité, les exigences et les obligations de l’école d’Hippocrate, qui trouvent leur expression dans le serment éponyme, peuvent également être appliquées à tous ceux qui travaillent dans les professions médicales.
Mais en dernier ressort, ils peuvent aussi être une invitation à tous ceux qui lisent cette phrase : « Je veux garder ma vie sainte et pure. »
Franziska Rudnick
Source : Berner-Hürbin, Annie, Hippocrate et les énergies de guérison, Bâle, 1997.