Une question revient souvent sur l’ordre selon lequel Usui Sensei a formulé le Gokai. Pourquoi a-t-il placé la libération de la colère avant celle du souci, de l’inquiétude, de la préoccupation ?
Il existe plusieurs théories sur l’origine de ces cinq idéaux mais pour comprendre une philosophie, il semble important de se replonger dans l’époque, les coutumes, les mœurs religieuses où elle fut érigée et par qui. En effet, nous sommes, bien malgré nous, toujours influencés par la société et la religion dans laquelle nous vivons, que nous soyons croyants ou pas, pratiquants ou pas. C’est d’ailleurs pourquoi, en Occident, les notions de bien et de mal, de punition, de culpabilité sont bien différentes de celles considérées en Orient.
Pour que son enseignement soit mieux accepté, Mikao Usui a eu l’intelligence de cacher les Kotodamas qu’il utilisait dans le nom de différents symboles. Alors pourquoi n’aurait-il pas agi de façon similaire pour que ses élèves pratiquent, vivent et diffusent assidûment les Gokai, comme quelque chose de familier ? Usui Sensei a reçu une éducation traditionnelle empreinte de différentes religions existant au Japon, principalement le bouddhisme, le shintoïsme mais également le taoïsme, le Mikkyō (bouddhisme ésotérique) et d’autres enseignements comme le chamanisme, la pratique des samouraïs, le Shugendo, etc. C’est sans doute pour cela que, tout en pratiquant la spiritualité, il médite beaucoup. Il vit d’ailleurs le satori (illumination) suite à une méditation de 21 jours sur le mont Kurama, haut lieu bouddhiste. De plus, lorsqu’il introduit la trame spirituelle du Reiki, ultérieurement à son enseignement initial, quand il s’aperçoit que seule la pratique ne suffit pas à maintenir durablement une bonne santé, il la nomme Gokai comme les Gokai du bouddhisme mais avec d’autres préceptes. Et s’il avait construit les cinq idéaux comme une méditation que beaucoup pratiquent sous l’Empire Meiji ?
Aujourd’hui, il est connu et reconnu, même par la médecine, que la méditation, comme celle de la gratitude, est puissante et invite à être plus heureux, diminue l’anxiété, le stress, renforce le système immunitaire… et donc constitue un véritable « remède » pour moult maladies. Voilà ce qui est repris dans les deux premières phrases des Gokai (Shôfuku no hihô — l’art secret d’inviter le bonheur, Manbyô no reiyaku — le remède spirituel pour toutes les maladies). Usui Sensei mentionne également qu’afin d’avoir un corps sain, on doit d’abord guérir, améliorer son esprit. En connectant justement le cœur à l’esprit, la méditation le permet. Analysons alors comment le modèle de la méditation, au travers des Gokai, pourrait expliquer que la libération de toute colère se trouve avant la délivrance de toute inquiétude.
Dans toute méditation, on se centre sur le moment PRÉSENT afin juste d’ÊTRE ; ce qui correspond à Kyô dake wa — Juste pour aujourd’hui.
1. On débute toujours une méditation en cherchant d’abord la paix de l’esprit (mental).
Une fois centré sur l’instant présent, tranquillement, par la respiration, on s’apaise, se calme pour être serein. Pour cela, on va chercher à se délivrer du passé et du présent en se libérant des croyances limitantes, de tout sentiment de frustration, de tristesse, d’embarras, de toutes les émotions diffuses, passées et actuelles, qui peuvent compromettre notre sérénité. C’est en recherchant consciemment les causes de ces émotions premières, en les acceptant puis en s’y plongeant (en gardant néanmoins de la distance) qu’on atteint le calme de l’esprit, et donc la libération de toute colère.
Car la colère, généralement dirigée envers nous-même, est toujours une seconde émotion en réaction à une première qui nous affecte. On doit d’abord trouver la sérénité pour s’en libérer.
Voilà le premier idéal : Ikaru na (libre de toute colère).
2. La seconde étape d’une méditation est un processus physique, une relaxation encore plus profonde pour parvenir au lâcher prise.
C’est uniquement après avoir atteint l’état d’apaisement mental qu’on peut accéder à cette ultime décontraction corporelle. Quand on médite, des pensées anxiogènes souvent axées sur l’avenir (ou d’anticipation de problèmes éventuels) nous traversent. Après avoir relâché les tensions physiques, on peut se délivrer de l’inquiétude face à l’avenir en choisissant de devenir spectateur de ses pensées, d’avoir confiance et de lâcher prise. En les laissant vagabonder, on observe juste les idées qui passent, indifférent. Shinpaï suna (libre de tout souci).
3. La troisième étape d’une méditation est émotionnelle. On peut introduire un mantra, ici l’un des plus puissants : MERCI.
Dire merci est encore plus bénéfique si on éprouve réellement un sentiment de gratitude. Complètement relaxé, on peut ressentir cette émotion en se concentrant sur ce qui nous rend reconnaissant. Quand on pratique la méditation de la gratitude régulièrement, notre santé s’améliore, on ouvre son cœur et on accède à la joie, au bonheur. Kansha shite (ressens de la gratitude).
4. La quatrième étape est spirituelle, l’un des objectifs de la méditation étant d’accéder à des prises de conscience.
Après s’être pardonné, par la concentration (diligence) de plus en plus intense, on vit « aligné » avec soi-même (honnête). C’est ainsi qu’on peut atteindre l’amélioration de soi pour s’éveiller afin d’accomplir sa mission. Soit : Gyô wo hage me (fais ce que tu as à faire).
5. Enfin, la cinquième étape, le but ultime de toute méditation, outre l’illumination, est la bienveillance universelle.
On l’atteint en développant l’empathie et la compassion. Hito ni shinsetsu ni (sois bienveillant envers autrui).
En résumé, dans les deux constructions, ne retrouve-t-on pas la sérénité, la confiance, la reconnaissance, l’éveil et la bienveillance ?
Les dernières phrases des Gokai invitent, les mains jointes, à visualiser et ressentir cet état de tranquillité d’esprit et de bienveillance en récitant plusieurs fois ces idéaux, matin et soir. L’intention, au travers de cette méditation et grâce au pouvoir spirituel des mots (Kotodamas) choisis par Mikao Usui Sensei, est d’élever notre cœur et notre esprit d’être humain. Il y a même une expression japonaise qui résume cette aspiration : « à travers les mains vers les mains, et à travers les gens vers les gens ».
Valérie Poyer
Maître Reiki
valeriepoyer@hotmail.com